"La crise de coronavirus risque de renforcer la mortalité" en Méditerranée
Plus aucun navire de sauvetage de migrants n’opère en mer. Entretien.
- Publié le 23-03-2020 à 07h25
- Mis à jour le 23-03-2020 à 07h27
Plus aucun navire de sauvetage de migrants n’opère en mer. Entretien.
Comment continuer à sauver des vies en Méditerranée tout en assurant une sécurité sanitaire sur les navires, face à l’épidémie de coronavirus ? Où débarquer les rescapés alors que les frontières européennes se ferment pour tenter de limiter l’épidémie ? Comment assurer une prise en charge des migrants une fois à terre sans accentuer la pression sur les autorités sanitaires ? La Méditerranée s’est vidée de ses navires de sauvetage le temps que les ONG répondent à ces questions complexes.
Or les départs depuis les côtes africaines vers l’Europe reprennent. Le 14 mars, Alarm phone, qui offre une assistance téléphonique d’alerte aux bateaux en détresse, rapportait la présence d’une embarcation à la dérive, avec 110 personnes à bord, au large de Malte. Aussi, la semaine dernière, 150 migrants sont parvenus à rejoindre l’île de Lampedusa. "Notre objectif à très court terme est donc de repartir en mer", explique Frédéric Penard, directeur des opérations de SOS Méditerranée, dont le navire de sauvetage, l’Ocean Viking, a accosté à Marseille vendredi.
Que devez-vous régler avant de reprendre vos opérations en Méditerranée ?
Cette crise déstabilise politiquement, logistiquement, médicalement tous les pays du pourtour méditerranéen. Les États européens ont pris des mesures d’urgence légitimes (face au Covid-19). Mais l’obligation de sauvetage en mer, de porter assistance aux personnes en détresse existe toujours. Comment concilier ces deux (défis) ? On doit analyser la réponse des États à cette question avant de reprendre nos opérations.
Avez-vous la garantie que les pays européens - qui ont fermé leur espace de libre circulation aux non-Européens - accueilleront des personnes rescapées ?
Non, justement. Pourtant, le cadre légal reste le même. Les États ont le devoir de trouver une solution pour débarquer les personnes secourues en mer dans un lieu sûr. Nous cherchons donc à comprendre comment ils respecteront cette obligation dans le contexte actuel, même s’il faudra établir des mécanismes et un encadrement des débarquements spécifiques à l’épidémie de Covid-19.
C’est toujours un dialogue compliqué, puisque l’UE ne développe déjà pas tous les moyens nécessaires pour effectuer des sauvetages en mer ou même organiser les débarquements. C’est d’ailleurs la raison de notre existence. Alors que les États sont concentrés sur la gestion de la crise sanitaire, établir ce dialogue est encore plus difficile.
Au-delà de la question des débarquements, pourrez-vous respecter les mesures nécessaires pour éviter les risques de contamination à bord ?
On avait déjà pris des mesures depuis une quinzaine de jours (maintien de distance, hygiène des mains, etc.). L’Organisation mondiale de la santé a émis des recommandations pour le traitement de cas suspects sur un bateau. L’équipe médicale de l’Ocean Viking disposait déjà d’un plan pour faire face aux maladies transmissibles, qu’on a adapté pour le Covid-19. On a adapté nos procédures face au risque d’importation d’un cas sur le navire de la part des personnes secourues ou, plus vraisemblablement, des membres d’équipage. On a aussi démarré un dialogue avec les autorités sanitaires italiennes, qui font face à beaucoup de travail, pour minimiser leur mobilisation pour les débarquements, en cas d’alerte d’un cas de Covid-19 à bord (et aussi en l’absence d’alerte).
Pourquoi est-il urgent de retourner en mer ?
Rien n’indique pour l’heure que cette crise de coronavirus aura une influence sur les départs (vers l’Europe). Ceux-ci sont plus liés au besoin de fuir la Libye qu’à tout autre facteur. Et ils s’intensifient lorsque la météo devient plus clémente, notamment au printemps. Or plus aucun navire de sauvetage n’opère actuellement en Méditerranée. Aussi, toute l’industrie maritime, tout le trafic maritime sont extrêmement perturbés par cette situation. De manière générale, la présence de navires, y compris de commerce, en mer, est beaucoup plus aléatoire. La crise de coronavirus risque donc de renforcer la mortalité sur cette route migratoire, qui était déjà auparavant la plus mortelle au monde.