Investigation

#Investigation : un greffier hors de contrôle

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Par Alain Vaessen

Un nom circule sur toutes les lèvres ces semaines-ci à Namur : Frédéric Janssens, le greffier du Parlement de Wallonie. Il n’est donc pas parlementaire mais chef de l’administration du Parlement, autrement dit d’une centaine de fonctionnaires.

Le 15 septembre dernier, l’homme, en poste depuis 2009, a été écarté temporairement du service parce que, quelques jours plus tôt, un xième article de presse avait fait état de son management "musclé" et d’un personnel en détresse. Ce n’était pas la première fois que des échos étaient donnés aux grandes difficultés humaines du Greffe du Parlement de Wallonie mais cette fois un témoignage glaçant était rapporté : des menaces gravissimes, enregistrées, du greffier envers un de ses employés. Plus moyen pour les parlementaires (les employeurs de Frédéric Janssens) d’ignorer l’alerte comme ils l’avaient fait par le passé. L’homme est donc suspendu, le temps, disent les parlementaires, d’y voir plus clair.

La boîte de Pandore est donc ouverte et il va rapidement apparaître que Frédéric Janssens, peu contrôlé par le Bureau de cinq parlementaires chargés de le superviser, aurait aussi pris quelques libertés avec des dépenses engagées au nom du Parlement…

Une main de fer dans un gant de crin

Côté management, une dizaine de plaintes pour harcèlement au travail ont été déposées ces dernières semaines à l’Auditorat du travail de Namur. Pression permanente, injures, humiliations : les doléances des uns et des autres se ressemblent, dénoncent un climat de peur ayant poussé à de multiples burn-out ou démissions au fil du temps. Et parmi ces plaintes, celle qui contient les menaces enregistrées.

Nous sommes en mars 2019. Un fonctionnaire travaille dans son bureau avec un enregistreur. Le micro est branché. Le greffier entre. On entend distinctement : "Tu te souviens d’Untel ? […] J’ai eu sa peau comment ? Avec des procédés odieux". Le greffier sait que son employé a des problèmes cardiaques. Il continue : "Tu veux que j’utilise ces procédés avec toi ? Tu es chez ton cardiologue ce soir, hein. A la morgue à midi". Après le départ du greffier, le fonctionnaire constatera que l’enregistreur a continué de tourner. Il gardera sous le coude l’enregistrement, songeant plus d’une fois à le détruire. Puis, "parce qu’il constate la souffrance de ses collègues", décidera finalement de l’utiliser pour témoigner.

© BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE

Un tunnel à 3.000.000 d’euros…

Les parlementaires ont choisi pendant des années d’ignorer les signaux que leur adressaient les fonctionnaires de leur administration (prudemment, il est vrai, le greffier ayant interdit au personnel de leur parler…). Mal leur en a pris : Frédéric Janssens, au salaire mensuel de près de 9000 euros par mois et aux multiples avantages (cartes de crédit, frais non contrôlés, voyages…), avait su se rendre indispensable auprès des députés les plus influents et gérait les dépenses courantes du parlement, ainsi que la surveillance des chantiers.

Parmi ceux-ci : une jonction piétonne souterraine, un tunnel d’une cinquantaine de mètres, entre un parking public et le parlement. Décidé par les parlementaires en janvier 2018 avec un coût initial d’un million d’euros, creusé et aménagé sous la responsabilité du greffier, il coûtera finalement, on le sait depuis des calculs détaillés (enfin) faits cet automne… trois millions d’euros.

… et une Maison hors de prix

Mais un chantier majeur va poser plus de questions encore : la construction (toujours en cours…) d’une Maison des parlementaires, attenante au bâtiment actuel. Le principe de ce bâtiment, où seront regroupés des salles de Commission et les bureaux de tous les parlementaires, a été voté en 2010. Trois ans plus tard, une première évaluation est faite : cela coûtera 15 millions d’euros. Quand le marché est attribué, en mars 2019, la somme grimpe à 17.152.293 euros. Et quand les comptes précis ont été rassemblés cet automne parce que les bruits les plus fous circulaient, la facture totale va faire trembler le Parlement : 46.112.336 euros. Trois fois l’estimation de départ.

Comme pour le tunnel entre le parking et le Parlement, les cinq parlementaires du Bureau n’ont guère repéré les surcoûts, dont certains étaient pourtant mentionnés dans des documents comptables. Et bien qu’ils déplorent aujourd’hui que le greffier, qui suivait le chantier pour eux, n’ait pas donné l’alerte, ils devront bien assumer la responsabilité finale de l’explosion des budgets. D’ailleurs, le Parlement, pour éponger cette facture, pourrait bien y laisser toutes ses économies, vidant un fonds de réserve pourtant indispensable pour parer à d’éventuels accidents ou imprévus.

A ce stade de la procédure, Frédéric Janssens doit reprendre ces fonctions en mars 2023. Côté parlementaire, ils sont de plus en plus nombreux à considérer son retour comme… non souhaitable.

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