Plutôt bien positionnée sur la production d’équipements médicaux (ciblant en priorité le marché national) et le développement de traitements contre le COVID-19, l’industrie pharmaceutique japonaise n’en reste pas moins vulnérable, car dépendante de ses importations massives de composants étrangers. Le secteur cosmétique est beaucoup plus fortement affecté par la crise, tant sur son premier marché étranger qu'est la Chine, que sur son marché intérieur.

1. Une augmentation des capacités de production d’équipements médicaux et de produits pharmaceutiques

L’épidémie du COVID-19 a entraîné une forte croissance des ventes de produits sanitaires de prévention. Selon, les statistiques publiées par le ministère de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie (METI) fin mars, les ventes au détail étaient en hausse de 9% en février dans la catégorie « produits médicaux, pharmaceutiques et cosmétiques », augmentation portée principalement par les masques et solutions désinfectantes. Or, l’approvisionnement en masques est fortement dépendant des importations : en 2018, 1Md d’unités étaient produites au Japon, contre 4 Mds importées. Dès lors, l'accès à ces produits s'est avéré très contraint et perlé sur le Japon, depuis début mars. De la même façon, les besoins en ventilateurs et en système d'oxygénation par membrane extracorporelle, ECMO, ne sont que partiellement couverts par une production nationale limitée : on comptabilisait 28.000 ventilateurs au Japon, mi-février, dont seulement 60% étaient opérationnels, et 1400 ECMO. Environ 90 % étaient importés. La profession fait également état de la difficulté de certains hôpitaux à faire fonctionner ce type d'équipements spécialisés sans vivier suffisant de personnel infirmier formé à leur utilisation et, plus généralement, dans un contexte caractérisé par un manque historique d'infirmiers, qui nécessite de faire souvent appel à une main d'œuvre étrangère.

Les industriels japonais du secteur augmentent donc leurs capacités de production. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, entend notamment sécuriser dès à présent la production de 15 000 ventilateurs. Sanko va ainsi multiplier par 10 sa production annuelle ; Koken Medical entend la doubler. Le fabricant d’ECMO, Terumo, s’est également fixé pour objectif de produire en quelques mois l’équivalent de sa production annuelle ; son concurrent Senko Medical Instrument augmentera sa production annuelle de 33%. Dans le même temps, des industriels d’autres secteurs convertissent leurs usines, au Japon et à l’étranger, pour produire des masques, à l’image de Sharp et Iris Ohyama, ou bien encore des visières de protection, respirateurs et ventilateurs pour des constructeurs automobiles, comme Toyota ou Nissan, ou de solutions désinfectantes pour ce qui concerne Shiseido.

L’industrie japonaise est, par ailleurs, mobilisée dans la recherche, le développement et la production de traitements contre le COVID-19, tel que le médicament anti-grippal Avigan, développé par Fujifilm Toyama Chemical, qui ambitionne de tripler le stock actuel pour pouvoir traiter 2 millions de personnes, ou le cortico-stéroïde pour l'asthme, Alvesco, produit par Teijin. Le principal acteur pharmaceutique japonais, Takeda, a pour sa part lancé le développement d'un nouveau médicament, à partir d'anticorps extraits du sérum sanguin de patients guéris. Mitsubishi Tanabe Pharma, par le biais de sa filiale canadienne Medicago et du groupe Irom, a lancé des recherches sur l'élaboration d'un vaccin, en collaboration avec l'Université Fudan à Shanghai. La start Up AnGes Inc, fondée par le Pr Ryuichi MORISHITA de l'Université d'Osaka, s'est jointe à Takara Bio Inc (Japon) et Daicel (Japon) pour développer un vaccin et déposer, le 1er avril, un brevet, qui doit donner lieu ultérieurement à des essais cliniques.

2. Des incertitudes sur les retombées économiques pour l’industrie pharmaceutique

L'industrie locale n'en reste pas moins menacée par des ruptures des chaines d’approvisionnement en cas : (i) de restrictions des exportations médicales par les pays étrangers fournisseurs (cas d'ores et déjà de l'Inde ou Taïwan...) et (ii) d’une extension au commerce de biens des restrictions actuellement en vigueur pour le transport de personnes. Une part significative de la production japonaise est réalisée à l’étranger et ceux disposant d'usines au Japon, comme Takeda, restent tributaires d'importations de composants en provenance notamment de Chine et d'Inde. Les sociétés les plus touchées semblent être les fabricants de génériques.

Quant à elles, les retombées économiques du développement de traitements contre le COVID-19 dépendront largement du calendrier de leur mise sur le marché et d’une éventuelle réquisition de ces traitements par les autorités. A cet égard, les deux fédérations de référence du secteur au Japon ont publié, le 30 mars, un appel au gouvernement pour débloquer des financements exceptionnels de 850 M € afin de permettre le développement accéléré de médicaments et vaccins.

3. Un fort impact sur le secteur des cosmétiques en raison de sa dépendance au marché chinois

Les ventes dans l'industrie cosmétique ont été profondément affectées par l'épidémie, d’abord sur leur premier marché étranger (la Chine continentale et Hong Kong, représentant, en 2018, 60% des exportations). Les mesures de confinement mises en œuvre en Chine ont fait chuter à la fois la consommation sur place et le nombre de visiteurs chinois au Japon (-87,9% en février). A titre d'illustration, Shiseido a annoncé une baisse de ses ventes en Chine de -55%, rien qu'entre le 24 et le 30 janvier; le groupe a toutefois commencé à rouvrir ses magasins en Chine dès le 10 février.

Le marché intérieur (qui avait crû de +22% entre 2012 et 2018) est bien sûr aussi touché, ne serait-ce que parce qu'il dépendait de plus en plus des touristes chinois. Dès le début du mois de mars, ainsi, le groupe cosmétique Pola Orbis estimait que son chiffre d’affaires du 1er trimestre 2020 pourrait être jusqu’à 70% inférieur à celui initialement prévu. On peut s’attendre désormais à une chute de la demande intérieure des résidents japonais, compte tenu de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence le 8 avril. Juste après l'appel à confinement volontaire par la gouverneur de Tokyo, les ventes de cosmétiques avaient déjà diminué de -21% entre le 23 et le 29 mars, par rapport à 2019. Des industriels font toutefois état de tentatives des grands groupes de réorienter leurs ventes vers le commerce en ligne ou les ventes privées par téléphone auprès de leurs clients fidèles, afin de compenser cette baisse du marché traditionnel.